Écologie du logiciel libre

Vers un secteur technologique résilient et au service des besoins communautaires

Ce document de discussion a été préparé pour une rencontre en personne à Montréal :

Le 5 juin 2025, Tiers Lieu Montréal
5031 Rue St.Denis, Montréal QC
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L’approche actuelle du Canada en matière de développement du secteur technologique repose sur des milliards de dollars en subventions gouvernementales — municipales, provinciales et fédérales. Le meilleur scénario possible ? Des milliardaires locaux qui soutiennent des causes d’extrême droite. Le scénario le plus fréquent ? Le développement largement subventionné d’une main-d'œuvre servant de pépinière à la Silicon Valley, où les talents s’envolent vers le sud. Ces deux issues nourrissent des tendances antisociales, érigent l’enshittification (la détérioration systémique) comme finalité de l’entrepreneuriat et freinent, en fin de compte, l’innovation véritable.

Mais une autre voie est possible : une écologie d’entreprises et d’organismes à but non lucratif qui coopèrent et rivalisent pour développer un commun de logiciels libres et open source (FOSS) réellement bénéfiques pour la société !

Les communs sont déjà des moteurs clés de notre économie, bien qu’ils soient souvent négligés. Prenons l’exemple d’un lac. Des bateaux de pêche, des excursions en voilier, des plages, un port, des éoliennes produisant de l’énergie propre : tous dépendent du lac et ont intérêt à contribuer à sa santé écologique. Si quelqu’un commence à en drainer l’eau ou à le polluer, la capacité de chacun à prospérer est menacée. Et au-delà de la défense collective de la source de leur prospérité, le lac devient aussi le symbole d’une identité collective.


Les lacs et les bases de code comme communs

Les bases de code peuvent jouer un rôle similaire : nous l’avons tous déjà observé. Cette écologie open source pourrait devenir un moteur pour un modèle de développement fondé sur les communs, avec des caractéristiques clés qui s’éloignent du modèle “financer et oublier”.

Ancrage des talents localement :
Utiliser des politiques publiques pour ancrer des développeur·euses clés dans un lieu donné crée des incitatifs pour que d’autres entreprises utilisant leur code s’y installent également, contrebalançant ainsi le flot continu de talents vers la Silicon Valley.

Indépendance éthique :
Google a abandonné le principe “don’t be evil” parce que l’impératif du profit a pris le dessus. Une gouvernance par des organismes à but non lucratif permet un dialogue civique et des décisions de design ancrées dans l’intérêt public.

Non-extractivisme :
avec un financement public et à but non lucratif au cœur de l’écosystème, même les entreprises à but lucratif seront incitées à éviter les modèles d’affaires centrés sur l’extraction de valeur et la croissance à tout prix. La pression d’une croissance “10x” s’en trouvera réduite.

Coopération :
dans une écologie open source, le succès repose sur la collaboration.

Compétition :
au lieu d’un monopole “winner-takes-all”, les organisations peuvent se motiver par une compétition bénéfique pour l’ensemble de l’écosystème : excellence technique, efficacité, culture de travail favorable, satisfaction des usagers.

Le cœur d’un tel écosystème open source est un groupe de développeur·euses financé·e·s par des fonds publics travaillant sur une base de code stratégique. Par exemple, une contribution gouvernementale unique pourrait créer une fiducie qui finance leurs contributions. Ces développeur·euses deviennent alors un noyau pour le développement FOSS, impliquant stagiaires, collaborateur·ices et entreprises bâties sur cette base de code. Avec l’accès au financement et quelques incitatifs légers, l’idéal serait un mélange interconnecté d’OSBL, de coopératives et d’entreprises fonctionnant de manière durable et produisant des résultats d’intérêt public. Ce modèle permettrait au logiciel de contribuer à relever des défis sociaux majeurs.

Cette combinaison de travail porteur de sens, de communauté de pratique vivante et d’opportunités entrepreneuriales locales pourrait ancrer les talents à Montréal et positionner la ville comme un pôle technologique international fondé sur des valeurs éthiques et coopératives.

DISCUSSION : Quels sont, selon vous, les défis majeurs pour établir une écologie open source comme modèle de développement ? Que manque-t-il dans la description ci-dessus ?

La première étape consiste à établir une vision commune. Ce document vise à amorcer cette conversation.

Basé sur les discussions entourant le rapport Quand la tech coopère et l’événement de lancement en 2023, SEIZE et ses allié·es proposent de faciliter une discussion inclusive pour définir un cadre permettant d’avancer vers un modèle alternatif pour le secteur technologique à Montréal.

  1. À court terme (1-2 ans): établir un point d’ancrage politique pour un écosystème FOSS/non-extractif par des crédits d’impôt, des politiques d’approvisionnement et des actions de plaidoyer. Une mesure légère préalable pourrait être de connecter des coopératives de travail aux subventions salariales existantes pour renforcer la filière des stages.
  2. À moyen terme (3-5 ans): utiliser les ressources publiques pour bâtir une version pilote d’une Fiducie pour base de code (Codebase Trust, accompagnée de financements et incitatifs pour faire croître l’écosystème autour.
  3. À long terme (6-10 ans): élargir l’influence de ce modèle dans le secteur TI de Montréal, encourager la réplication dans d’autres domaines de services et influencer les valeurs dans le reste du secteur.
DISCUSSION: Que pensez-vous de cette chronologie ? Quelles conditions seraient nécessaires pour qu’un écosystème open source prospère comme modèle de développement économique ? Quelles idées pourraient résonner auprès des décideur·ses ?

Le mouvement vers l’objectif à court terme commence par l’approfondissement des liens au sein de l’écosystème déjà existant de coopératives et d’organismes à but non lucratif à Montréal — un processus amorcé avec la publication du rapport Quand la tech coopère en 2023.


Connecter le travail autour d’un nouveau paradigme partagé

À quoi cela pourrait-il ressembler concrètement ? Voici deux scénarios hypothétiques pour alimenter la discussion :

  1. Le marché de la gestion de la relation client (CRM) est estimé à 145 milliards USD d'ici 2029. Montréal compte une coopérative locale qui contribue à CiviCRM. Un financement public du développement de CiviCRM pourrait-il ancrer un écosystème open source à Montréal ?
  2. Les gouvernements municipaux, provinciaux et fédéraux dépensent collectivement des milliards chaque année en services TI. Une coopérative ou un collectif capable de répondre à leurs besoins de manière fiable et abordable avec du FOSS (notamment pour remplacer les sous-traitants américains) pourrait accroître son influence stratégique.

C’est une vision ambitieuse. Mais une fois une direction commune adoptée, elle génère des objectifs concrets et atteignables, qui ouvrent à leur tour de nouveaux horizons des possibles.

De premières étapes clés incluent:

  1. Identifier les convergences : relever les points d’accord entre les parties prenantes (OSBL tech, coopératives de travail, chercheur·ses, syndicats).
  2. Faire de la recherche : identifier les facteurs de succès et les précédents utiles.
  3. Élaborer un cadre stratégique commun : définir une série d’objectifs, de jalons et de valeurs partagées.
  4. Identifier une politique concrète à changer : se fixer un objectif et mener une campagne collective pour l’atteindre.

Si vous lisez ceci, vous participez déjà aux étapes une et deux. Vous avez envie de contribuer ? Rejoignez le comité technologique de SEIZE !

DISCUSSION: Si vous aviez l’occasion de vous investir, vers quel scénario aimeriez-vous travailler ? Y a-t-il des étapes concrètes auxquelles vous aimeriez contribuer ?

Si vous lisez ceci, vous participez déjà aux étapes une et deux. Vous avez envie de contribuer ? Rejoignez le comité technologique de SEIZE!

Contact: dru@solidarityeconomy.ca